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 Lettres à une Aurore

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   Posté le 02-04-2005 à 17:35:10   

je souris; un jour , je passerai mon temps à tout lire.
Meluzine
Partir, c'est mourir un peu
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Meluzine
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   Posté le 02-04-2005 à 20:07:13   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Bonne idée ! Et puis, tu pourrais essayer toi aussi ! Je serais heureuse de te lire...

A bientôt !
Kham
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Kham
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   Posté le 03-04-2005 à 21:13:23   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Chère Aurore,

Je viens de me réfugier à l’abri du vent frais et du monde dans une petite église située au pied des Cévennes où je séjourne actuellement.

Cette église est bien sombre et je distingue à peine les mots écrits dans la pénombre épaisse de ce lieu. Il faut dire que le jour s'en vient bas dans l'église, assombrie encore par l'ombre des montagnes qui entourent et même étreignent cette singulière bourgade, et qui, en s'élevant brusquement au pied de ses dernières maisons, ressemblent aux parois d'un calice au fond duquel elle aurait été déposée.

Je suis descendu dans cette petite bourgade par un chemin à pic, quoique circulaire, qui se tord comme un tire-bouchon sur lui-même et forme au-dessus d'elle comme plusieurs balcons, suspendus à divers étages. Ceux qui vivent dans cet abîme doivent certainement éprouver quelque chose de la sensation angoissée d'une pauvre mouche tombée dans la profondeur immense d'un verre vide, et qui, les ailes mouillées, ne peut plus sortir de son gouffre de cristal !

Rien de plus triste que cette bourgade, malgré le vert d'émeraude de sa ceinture de montagnes boisées et les eaux courantes qui en ruissellent de toutes parts, charriant des masses de truites dans leurs bouillons d'argent. Il y en a tant qu'on pourrait les prendre avec la main...

Mais la Providence a voulu que, pour les raisons les plus hautes, l'homme aimât la terre où il est né, comme il aime sa mère, fût-elle indigne de son amour. Sans cela, on ne comprendrait guère que des hommes à large poitrine, ayant besoin de dilatation au grand air, d'horizon et d'espace, pussent rester claquemurés dans cet étroit ovale de montagnes, qui semblent se marcher sur les pieds tant elles sont pressées les unes contre les autres!

Pour mon compte, je vis ici depuis vingt-huit jours à l'état de Titan écrasé, sous l'impression physiquement pesante de ces insupportables montagnes; et, quand j'y pense, il me semble que j'en sens continuellement le poids sur mon coeur.

Noire déjà par le fait du temps, car les maisons y sont anciennes, cette bourgade, qu'on dirait un dessin à l'encre de Chine et où la Féodalité a laissé quelques ruines, se noircit encore de l'ombre perpendiculaire des monts qui l'enveloppent, comme des murs de forteresse que le soleil n'escalade jamais.
Quelquefois, à midi, il n'y fait pas encore jour.

Il y a quelques heures à peine, toute la population de la bourgade était rassemblée ici dans cette petite église du XIIIe siècle, où des yeux de lynx, s'il y en avait eu, n'auraient pu lire les vêpres, dans ce chien et loup d'un soir d'hiver mais où il y aurait plus de loup que de chien !

Les cierges, selon l'usage, avaient été éteints au commencement du sermon, et la foule, pressée comme des tuiles sur les toits, n'était pas plus visible au prédicateur que lui, détaché d'elle et plus élevé qu'elle dans sa chaire, ne lui était visible de là-haut !

Seulement, si on ne le voyait pas très bien, on l'entendait. «Les capucins ne nasillent qu'au choeur», dit l'ancien proverbe. La voix de celui-ci était vibrante et d'un timbre fait pour annoncer les vérités les plus terribles de la religion. Et, ce matin, il les a annoncées. Il a prêché sur l'Enfer...

Tout, dans cette église sévère où la nuit entre lentement, vague par vague, plus profonde de minute en minute, donnait un très grand caractère à la parole de ce prédicateur. Les statues des saints, voilées sous les draperies dont on les couvre pendant le Carême, ressemblent ici à de mystérieux et blancs fantômes, immobiles
le long de leurs murs blancs, et le prédicateur, dont la silhouette indistincte s'agitait tout à l'heure sur le blanc pilier contre lequel la chaire est adossée, en semblait un autre ! On eût dit un fantôme prêchant parmi les fantômes ! Même si cette voix tonnante, d'une si puissante réalité et qui semblait n'appartenir à personne, en paraissait d'autant plus la voix du Ciel...

L'impression de tout cela était saisissante; et l'attention était si profonde et le silence si grand, que quand le prédicateur se taisait un instant pour reprendre haleine, on entendait - du dehors dans l'église - le petit bruit des sources qui filtraient de partout le long des montagnes dans ce pays plein de soupirs, et qui ajoutait à la mélancolie de ses ombres la mélancolie de ses eaux.

Maintenant, un silence opaque empli à nouveau les moindres recoins sombres de l’église. Pourquoi y suis-je entré ? Pourquoi y suis-je resté de si longues heures ? Je ne puis le dire. Il m’a semblé que l’ambiance de ces murs austères et de ces ombres presque vivantes étaient simplement propices à mes rêveries du jour.

Chère Aurore, je ne voudrais pas vous importuner davantage et je m’en vais clore cette lettre en vous remerciant simplement d’être là et de bien vouloir m’accorder parfois quelques minutes de votre temps si précieux afin de partager avec moi en pensée les ambiances et les humeurs recueillies tout au long de mes périples en ce bas monde.

Bien affectueusement,

Jules Barbey d’Aurevilly - Kham
Meluzine
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Meluzine
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   Posté le 12-04-2005 à 00:13:15   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Cher Jules,

Dieu, que je les aime ! Les bois de mon pays. Je m’y sens tellement seule, les yeux perdus loin entre les arbres, dans le jour vert et mystérieux, à la fois délicieusement tranquille et un peu anxieuse, à cause de la solitude et de l’obscurité vague…
Pas de petites bêtes, dans ces grands bois, ni de hautes herbes, un sol battu, tour à tour sec, sonore, ou mou à cause des sources ; des lapins à derrière blanc les traversent ; des chevreuils peureux dont on ne fait que deviner le passage, tant ils courent vite ; de grands faisans lourds, rouges, dorés, des sangliers (je n’en ai pas vu) ; des loups – j’en ai entendu un, au commencement de l’hiver, pendant que je ramassais des faînes, ces bonnes petites faînes huileuses qui grattent la gorge et font tousser. Quelquefois des pluies d’orage vous surprennent dans ces grands bois-là ; on se blottit sous un chêne plus épais que les autres, et, sans rien dire, on écoute la pluie crépiter là-haut comme sur un toit, bien à l’abri, pour ne sortir de ces profondeurs que tout éblouie et dépaysée, mal à l’aise au grand jour.

Et les sapinières ! Peu profondes, elles, et peu mystérieuses, je les aime pour leur odeur, pour les bruyères roses et violettes qui poussent dessous, et pour leur chant sous le vent. Avant d’y arriver, on traverse des futaies serrées, et tout à coup, on a la surprise délicieuse de déboucher au bord d’un étang, un étang lisse et profond, enclos de tous côtés par les bois, si loin de toutes choses ! Les sapins poussent dans une espèce d’île au milieu ; il faut passer bravement à cheval sur un tronc déraciné qui rejoint les deux rives.
Sous les sapins, on allume du feu, même en été, parce que c’est défendu ; on y cuit n’importe quoi, une pomme, une poire, une pomme de terre volée dans un champ, du pain bis faute d’autre chose ; ça sent la fumée amère et la résine, c’est abominable, c’est exquis.

J’ai vécu dans ces bois dix années de vagabondages éperdus, de conquêtes et de découvertes ; le jour où il me faudra les quitter j’aurai un gros chagrin.

Mon cher ami, vous comprendrez aisément qu'il m'est difficile de prendre une décision définitive.
Je vous demanderai de vous armer de patience.
En attendant un signe du ciel qui me guiderait, veuillez recevoir mon amitié profonde.

Aurore
Meluzine
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Meluzine
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   Posté le 16-05-2005 à 17:29:14   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Je remercie Colette d'avoir prêté sa plume à cette chère Aurore.
Meluzine
Partir, c'est mourir un peu
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Meluzine
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   Posté le 26-05-2005 à 20:24:03   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Mon cher ami,

Je suis sans nouvelles de vous depuis des mois. Mon inquiétude s'en va chaque jour en grandissant.
M'auriez-vous éloignée de vos pensées ?
Je n'ose y songer, tant ma peine serait profonde.

Je dois me rendre hélas à l'évidence, notre rencontre fortuite semble vous déplaire pour une raison que j'ignore encore.
Si le courage vous a manqué de me donner une quelconque explication illicite, vous m'en voyez vraiment désolée.

Il n'est pas dans mes habitudes de demander des comptes à quiconque, mais aujourd'hui, c'est différent !
Jamais vous ne pourrez mesurer l'ampleur de ma souffrance, et encore moins celle de ma déception.

Les larmes à présent inondent mon visage, je continue néanmoins cette missive au risque de la rendre illisible.
Quand vous trouverez cette lettre, je serai loin.
Désormais plus rien ne me retient dans ce bas monde.
Je vais suivre ma destinée et m'envoler vers d'autres horizons.
Plus la distance entre-nous sera longue et mieux, je m'en porterai.

Il m'est cependant pénible de mettre un terme à notre relation équivoque.
Puisque vous ne me faites aucun signe, j'imagine qu'il vous est difficile de prendre une décision définitive.

Dans ce cas, vous comprendrez que je ne puis attendre plus longtemps.
La vie ne m'a pas fait de cadeaux, pourtant je vous avoue y avoir cru un moment, quand votre attention s'est portée sur moi.

Adieu, je m'en vais le coeur gros en sachant que je ne pourrai pas vous oublier...

Aurore
Kham
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Kham
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   Posté le 28-05-2005 à 16:18:20   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Chère Aurore,

Je voyage beaucoup, d'où la raison parfois de mon silence.

Je viens d'arriver sur un lieu bien étrange. J'ai pris en effet possession d'une vieille cabane située sur un piton de rocher couvert de nuages. Tout autour de moi, la montagne, d'où sort la source d'une rivière, est si remplie de roches et de ravins qu'à peine on y peut marcher. Le paysage alentour est aussi rempli de fontaines et de petits ruisseaux.

Ici, m'a-t-on dit, sous les pluies de l'automne, le sol devient marécageux, et dans les sécheresses il est dur comme du plomb; quand on y veut alors ouvrir une tranchée, on est obligé de le couper avec des haches.

Le temps, qui détruit si rapidement les monuments des empires, semble respecter dans mes déserts ceux de mon amitié et de mon amour pour vous. Serait-ce afin de perpétuer mes attentes meurtries jusqu'à la fin de ma vie?

Une certaine Marie, fille de la région, m'a apporté hier des paniers faits avec des herbes qui croissent dans les bois. Cela me sera très certainement utile, bien que je ne sache pas encore à quoi. En tout cas, je l'ai remerciée vivement de s'être souciée de mon bien-être, moi qui ne suit qu'un simple étranger en ce pays, peut-être d'ailleurs comme partout en ce monde.

Je viens également de recueillir deux chèvres, ainsi qu'un gros chien qui veille maintenant la nuit au-dehors.

Ma cabane est dépourvue de commodités. J'y marche bien souvent nu-pieds, ne portant des souliers que pour aller le dimanche de grand matin au marché du village situé à une heure de marche d'ici.

Malgré le manque de confort, vous ne pourriez deviner à quel point mon habitation serait heureuse de vous y voir accueillie.
Ah, si vous pouviez lire dans mes yeux la joie que de tels espoirs soulèvent ! Je me surprends à vous imaginer près de moi, à vous donner les doux noms d'amie, de compagne et de soeur, même si des feux plus vifs que ceux de l'amitié se réveillent en mon âme lorsque je vous invite ainsi à partager un peu de ma solitude.

A votre souvenir, une passion brûlante envahit mes veines. Je deviens comme la flamme qui s'envole vers le ciel lorsqu'elle n'a plus d'aliment sur la terre. Je suis en effet bien loin ici des plaisirs de l'amour. Je nous vois comme deux bourgeons sur deux arbres de la même espèce, mais dont la tempête a brisé toutes les branches qui les reliaient. D'autres fois, je vois deux enfants se tenant par les mains et sous les bras, comme on représente la constellation des Gémeaux. Le soir, ils se couchent dans le même berceau, joue contre joue, poitrine contre poitrine, les mains passées mutuellement autour de leurs cous, et ils s'endorment bientôt dans les bras l'un de l'autre.

Un jour que je descendais du sommet de cette montagne, j'ai cru vous apercevoir. Vous courriez vers ma cabane, la tête couverte de votre jupon que vous aviez relevé par-derrière pour vous mettre à l'abri d'une ondée de pluie. Bien sûr, il s'agissait d'une vision éphémère. Votre image m'a échappé dans les derniers reflets mouillés du crépuscule.

Laissez-moi vous avouer ceci Aurore : vous occupez le fond de mes journées et toute l'activité de mon âme. Et si je n'offre jamais à l'église de très longues prières, partout où je suis - dans cette cabane, dans les champs, dans les bois - je lève au ciel en permanence un coeur plein de tendresse et de dévotion amoureuse. C'est dire à quel point je ne peux vous oublier. Dès que le chant du coq annonce le jour, je me lève et vais puiser de l'eau à la source voisine. Ensuite, je rentre préparer mon déjeuner. Je viens alors à mes rêves. J'imagine les mèches de vos cheveux ombrageant votre tête, vos yeux délicats, vos lèvres de corail, le plus tendre éclat sur la fraîcheur de votre visage. Mon coeur en ces instants s'emplit d'une sensibilité extrême et d'une âpre mélancolie. Vous êtes si loin de moi, mon amie, et pour combien de temps encore?

Deux enfants du ciel, dont la nature est d'aimer, ne sont-ils pas fait pour se rejoindre un jour et pour toujours?

C'est le coeur bousculé par de telles pensées et empreint d'une lancinante amertume que je vous adresse, par cette lettre, toute la force de ma tendresse affectueuse.

Je vous embrasse,

... / Kham
Meluzine
Partir, c'est mourir un peu
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Meluzine
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   Posté le 07-06-2005 à 14:07:22   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Cher ami, cher amour,

Vous avez l'art de m'exprimer vos plus tendres pensées et je n'ose y donner suite. Peut-être par soucis d'un jour vous déplaire, ou tout simplement parce que la vie à deux dans une cabane sans aucune commodités, devrait assez vite ternir notre amour.

Je m'imagine les doigts rougis par l'eau des lessives et le visage creusé de rides profondes. Le corps usé par des tâches bien trop lourdes pour la femme fragile que je suis.
Votre regard lassé ne m'apercevra même plus, vos tendres étreintes se feront rares pour finir par disparaître à jamais.

C'est plus que ce que je ne pourrais en supporter. Je ne demande pas un château, mais il me semble mériter moins d'austérité.
Nul besoin de richesse pour trouver le bonheur dans la simplicité...
La jeunesse ne demeure pas éternelle, pensez-y !

Vous resterez à mes yeux l'adolescent rêveur que j'aime tant à contempler des heures durant.
Votre nom dans mon coeur y est gravé pour toujours.
Mon amour pour vous est pur et sans contraintes. J'attise votre désir et vous fait perdre la tête, mais c'est sans le vouloir.

Votre amitié me suffirait s'il n'existait pas au plus profond de moi, cette flamme ardente que vous vous plaisez à animer.
Ne me faites pas souffrir, je ne le mérite pas.
Comment vous faire comprendre tout le mal qui me consume durant vos trop longues abscences ?

Je ne puis me soustraire à ces douloureuses attentes.
Veuillez pardonner mon impatience, mais je ressens votre attitude comme une cruauté masquée.
Je pleure souvent en songeant aux belles promesses qui vous fut impossible de tenir.

Je me sens dépérir un peu plus chaque jour, je n'ai plus d'appétit, le manque de vous se fait décidément très fort ressentir.
Combien de temps resterais-je à vous attendre encore et encore ? Je ne sais pas, je ne sais plus...

Votre Aurore
Sissie
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Sissie
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   Posté le 08-06-2005 à 00:44:23   Voir le profil de Sissie (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Sissie   

Continuer ,c'est un plaisir de vous lire!
Kham
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Kham
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   Posté le 08-06-2005 à 10:57:40   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Ma grande amie,

J’ai l’impression que par moments vous vous élancez par bonds dans le passé pour y folâtrer, pour y pleurer tour à tour.

Comme une musicienne passant du majeur au mineur, vous racontez vos longues mélancolies qui semblent dépeindre une lente maladie morale. Comme si vous abolissiez chaque jour un sens, retranchiez chaque nuit quelque pensée, réduisiez graduellement votre coeur en cendres.

La musique de votre coeur, de teinte en teinte, prend des couleurs de tristesse profonde où les échos versent les chagrins à torrents. Puis, les hautes notes font détonner un concert de voix angéliques, comme pour annoncer à l'amant perdu, mais non pas oublié, que la réunion des âmes ne se ferait que dans les cieux !

Il me semble entendre en vous comme un accord grave, solennel, terrible, et, après les derniers grondements des basses, qui feraient frémir les auditeurs jusque dans leurs cheveux, vous semblez replonger dans la tombe d'où vous étiez pourtant un moment sortie.
Toujours en proie aux mille jouissances que prodigue une satisfaction longtemps attendue et inassouvie, vous rentrez dans une profonde obscurité.

J’entends résonner près de moi cette voix que j’adore, j’en reconnais le timbre clair. Cette voix, légèrement altérée par un tremblement qui lui donne toutes les grâces que prête aux jeunes filles leur timidité pudique. Et elle fait à mon âme l'effet que produit aux yeux un filet d'argent ou d'or dans une frise obscure.

Cette voix s'élève comme un tourbillon accompagné par le murmure des vagues. Elle déploie toutes ces câlineries, arrive comme un baume sur un coeur embrasé, fleurit dans l'air. Elle me dit : « Oui, c'est moi, je suis là, je t’aime toujours; mais je suis à l'abri de l'amour. Tu m'entendras, mon âme t'enveloppera, mais je resterai sous le linceul brun de ce coeur d'où nul ne saura m'arracher. Tu ne me verras pas. »

Quelles étranges paroles Aurore !

Grâce à cette voix, ou à cause d’elle, mes sentiments prennent à leur tour une couleur bien mélancolique. Quelque chose de grand comme la tombe semble me saisir sous mes frais planchers. N'est-ce pas un silence éternel, une paix profonde, des idées d'infini ?

Devant mes yeux votre visage glisse dans l'air, dans le clair-obscur, dans ce tout qui n'étant tracé nulle part, est encore agrandi par l'imagination. Une femme peut être poussée par mille sentiments, elle s'y jette comme dans un précipice ; mais elle n'y vient jamais qu'entraînée par l’amour.

Puis-je vous voir, vous entendre et demeurer calme ? Les souvenirs d’un si récent passé me font mal.

Ah ! vous qui êtes devenue un jour ma lumière ! Je vous ai cherchée dans le monde entier. Vous êtes ma pensée de tous les instants, l'occupation de ma vie. Je ne vous parle pas d'une fidélité sans bornes, qu'est-ce ? un rien en comparaison des voeux infinis de mon amour.

Je sais bien sûr que vous franchiriez pour moi vos murs ; que, ce soir même, vous vous jetteriez dans une barque au bas des rochers ; que vous imaginez que nous irions être heureux je ne sais où, au bout du monde ! Que, près de moi, vous reviendriez à la vie, à la santé, sous les ailes de l'Amour.

Pour ma part, je ne vous vois plus uniquement avec les yeux du corps. Mais au fond je vous aime bien mieux que je ne vous ai jamais aimée. Je prie Dieu tous les jours pour vous. Et vous ignorez combien je suis heureux d'appeler les bénédictions du Ciel sur vous. Si vous connaissiez le bonheur de pouvoir se livrer sans honte à une amitié pure!

Je voudrais, au prix de mon éternité, avoir quelque certitude que vous êtes heureuse en ce monde, et que vous serez heureuse dans l'autre, pendant tous les siècles. Ma vie éternelle est tout ce que la vie m'a laissé à vous offrir. Maintenant, je suis vieux dans les larmes, je ne suis plus ni jeune ni beau, mais je dirai que je vous aime ; que l'affection, l'amour, l'amour vrai, le bonheur de vivre dans un coeur tout à nous, entièrement à nous, sans réserve, est si rare et si difficile à rencontrer, que j'ai douté de moi, que je vous ai soumise à de rudes épreuves; mais aujourd'hui je vous aime de toutes les puissances de mon âme. Même si le Ciel nous désire encore et toujours loin de l’autre.

Je ne vous quitte pas, Aurore ! Je vis dans votre coeur, mais autrement que par un intérêt de plaisir mondain, de vanité, de jouissance égoïste.

Que l’Amour vous bénisse,

Honoré de Balzac - Kham
Meluzine
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Meluzine
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   Posté le 09-06-2005 à 10:02:21   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Ami,

Je tremble en lisant ces mots. Comment pourrais-je rester insensible devant ces vérités si bien dissimulées ?
Vous semblez avoir le don de toucher les âmes sensibles et d'atteindre le but qu'il vous est donné de suivre.

Sous la dure carapace que vous arborez, le feu est bien loin de couver ! Il est si fort que ses flammes viennent tendrement m'embraser le coeur qui désormais ne bat que pour vous.

Je continue cependant ma résistance non voulue pour notre bien à tous les deux.
Je reste prostrée des heures durant, devant votre image gravée à jamais dans ma mémoire.
Je cherche la force de lutter contre vos sentiments violents, votre passion ardente, votre désir de m'enlever , mais vous êtes déchaîné et le mur que je croyais solide, ne pourra plus tenir longtemps à vos assauts toujours plus nombreux.

Mes rêves sont peuplés de douces étreintes, et de plaisirs interdits.
Mon âme est pourtant pure, mais je ne suis plus en mesure de retenir votre amour envoûtant.
Les liens se ressèrent, me voilà prise dans la toile que vous avez soigneusement tissée et l'envie me manque de partir.
Je viens à vous sans résistance aucune, j'ai oublié ma prudence et je ne regrette rien.

L'émotion me gagne quand je relis votre lettre, je ne puis encore une fois de plus empêcher les larmes de couler.
Ce n'est pas de la mélancolie, c'est au contraire du bonheur.
Oui, le bonheur de connaître enfin le fond de votre pensée, de savoir combien vous m'aimez, et de respecter la petite fille que je suis encore si souvent.
Votre amitié n'a pas de bornes, la mienne est simple et sans équivoque.

Je retourne à mes prières. Je vous sens très proche malgré cette longue distance qui nous sépare.
L'Amour n'a pas de frontières, pas même dans l'au-delà...
Je m'incline bien cher Honoré, non sans savoir l'étendue des obstacles à franchir...

Bien à vous,

Aurore
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