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 Une balade

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Meluzine
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Meluzine
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   Posté le 15-07-2005 à 23:47:12   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Une balade



La nuit avait fait place à la pénombre du crépuscule. Le ciel était parsemé d'étoiles, et la lune voilée par un gros nuage avait perdu quelque peu de son éclat.

L'obscurité maintenant complète, nous empêchait d'avancer d'un bon pas. Le sentier semblait par moment se dérober sous nos pieds, masqué par l'une ou l'autre racine.

Les oiseaux ne chantaient plus depuis longtemps. Seul, le bruit de la source était à peine audible.
Nous étions entourés d'une multitude de sapins, ce qui intensifiait la noirceur du soir et rendait la marche difficile.

Je sentais l'humidité doucement m'envahir, des frissons me parcouraient mais je préférais garder le silence. Tu marchais tranquillement à mes côtés, sans me toucher mais assez proche tout de même pour deviner mes pensées.

Il restait encore du chemin à faire avant d'arriver à la voiture et pourtant, je redoutais l'instant où notre balade prendrait fin. Je savourais chaque minute, près de toi, n'osant te regarder de peur de briser le charme qui nous enveloppait.

Soudain, tu ralentis le pas, une biche nous observait, méfiante, les oreilles bien droites, prête à fuir au moindre mouvement brusque. Le temps semblait s'être arrêté. Tes doigts effleurèrent légèrement les miens, mon coeur se mit à battre plus fort. Je désirais secrètement cette main et j'espérais qu'elle réchaufferait la mienne, glacée, comme à l'habitude...



Méluzine


P.S : Si mon histoire vous a plu, rien ne vous empêche de la continuer... ...
Kham
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Kham
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   Posté le 16-07-2005 à 12:55:08   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

A chacun de leurs pas, des feuilles séchées tombées des ramures à l'automne précédent craquaient sous leurs pieds. Le chemin pentu, qu'ils dévalaient prudemment, méritait toute leur attention.
Les deux promeneurs silencieux s'enfoncèrent encore un peu plus dans l'ouate indécise de la nuit tiédie. Ils ne disaient mot, chacun suivant le fil impromptu de ses pensées. En somme, ils étaient là et ils n'y étaient pas. Ne sommes-nous pas en effet et avant tout là où nos pensées nous emmènent ? D'ici un quart d'heure à peine, ils atteindraient l'orée du bois et retrouveraient les lueurs apaisantes de ce ciel d'été qu'ils devinaient toujours remué de nuages et d'étoiles.

La biche avait rejoint les fourrés. La végétation dense et l'obscurité protectrice s'étaient refermées d'un coup sur elle...

Quelques mètres plus loin, François trébucha du bout du pied sur un gros caillou. En d'autres circonstances, s'il avait été seul, il aurait probablement laissé s'échapper de ses lèvres un petit juron de son cru, mais il se contint. La présence de Marianne l'en dissuada. La nuit était bien trop magique pour la lacérer d'un blasphème, fut-il anodin et sans hargne aucune.

Dès que la biche les eut quittés, François et Marianne s'imaginèrent à nouveau seuls. Ils ignoraient totalement qu'une joyeuse bande de gnomes venait de se joindre à leur promenade, imitant hilares leur démarche hasardeuse sur ce chemin crevé d'ornières et jonché d'obstacles naturels les plus divers...

Message édité le 16-07-2005 à 13:01:31 par Kham
Kham
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   Posté le 20-07-2005 à 14:01:19   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Soudain, au détour du chemin bourbeux, et comme issue de nulle part, apparut devant nos deux amis une vieille femme aux longs cheveux blancs. Elle marchait lentement, le dos courbé par les ans, une branche tordue de noisetier lui servant de canne.

- Bonsoir mes enfants, leur dit-elle. Il est bien rare de trouver encore âme qui vive par ici à cette heure tardive ! Oh, mais je vois que vous êtes nombreux !

Les deux amis se regardèrent un instant - perplexes. Cette vieille femme, à l’allure des sorcières d’antan, était-elle à demi folle ? Et si ce n’était le cas, de qui parlait-elle ? Ils n’étaient que deux, trois avec elle.

- Ah oui, j’oubliais.... Vous ignorez probablement que les Gais Lurons ont fait un bout de chemin avec vous ! Ah ces garnements… Toujours à l’affût d’une espièglerie muette!

- Quels gais lurons ? s’enquit Marianne intriguée.

- Mais les gnomes du lieu, pardi ! Les Esprits de la terre qui hantent les Ardennes belges depuis toujours !

- Vous croyez à ces légendes ? la questionna François.

- Mon bon ami, fit la vieille d’un air lassé et compatissant. Il ne s’agit pas de légendes. Si vous pouviez les voir comme je les vois, vous sauriez, nom d’une Hélène !

- Vous vous appelez Hélène ?

- Oui, mon bon ami : je m’appelle Hélène ! Et vous ?

- François. Et voici Marianne, mon amie…

- Enchanté, répondit distraite et songeuse la vieille femme.

- Enchanté ! répondirent en chœur les deux amis.

- Non, non ! Je voulais dire que ce lieu est magnifiquement enchanté ce soir ! ricana gentiment la vieille à demi édentée.

- Vous pouvez comprendre le langage des esprits ? fit Marianne, soudain conquise par l’originalité de cette femme sortie tout droit d’un conte pour enfants sages.

- Bien sûr ma bonne amie. C’est pour moi un jeu d’enfant ! Hélène la Malgaigne a d’étranges pouvoirs dit-on. Les habitants des environs ne l'ignorent point. Certains se signent même à mon passage, comme si je n’étais qu’un vil oiseau de mauvais augure ! fit-elle en haussant ses frêles épaules osseuses qui lançaient comme des pointes aigues dessous sa sombre cape.
Son visage était d’une pâleur mat et lunaire. Cependant, lorsqu'elle parlait, ses grands yeux noir de Chine lançaient de vifs éclairs dans la nuit, comme ceux d’une chouette.

- Tenez ! Asseyons-nous sur cette souche d’arbre abandonnée, avant de nous séparer qui sait ? peut-être pour toujours. Nous bavarderons un peu vous et moi. Les Gais Lurons me connaissent bien. Depuis le temps, je me suis prise d’amitié pour eux. Ils ne sont pas méchants pour un sou vous savez; juste un tantinet malicieux. Mais c’est leur nature. Ils sont nés ainsi. Que voulez-vous ?

Au dessus du trio fraîchement constitué, une corneille insomniaque fit claquer ses ailes. Sans doute lassée par le bruit de ce babillage humain, elle prit son envol à travers les hauts branchages sombres entrecroisés, à la recherche d’un lieu de sommeil plus paisible...
Kham
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Kham
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   Posté le 23-07-2005 à 14:04:29   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

- Tenez ! dit la Malgaigne. Voilà nos Gais Lurons qui s’assoient en cercle autour de nous !

- Ils comprennent ce que nous disons ? s’enquit Marianne.

- Vaguement. Ils lisent plutôt le sens global de nos pensées.

- Ils sont télépathes ? demanda François.

- Oui. En quelque sorte. Mais ils ne saisissent pas toutes les subtilités de notre langage humain, uniquement les grandes lignes, un peu comme nous comprendrions une langue étrangère dont nous avons de bonnes notions.

La forêt alentour s’était encore appesantie. La nuit enveloppait maintenant le petit groupe hétéroclite d’une pénombre profonde et silencieuse.

- Vous vous promenez souvent par ici ? demanda Marianne à la vieille femme assise au milieu d’eux.

- Non. Seulement de temps en temps. Surtout les nuits de pleine lune, lorsque le temps n’est ni à la pluie ni au grand froid. Mes pauvres os ne supportent plus grand-chose vous savez. La forte humidité des terres ardennaises n’est plus mon amie.

- Parlez-nous de ces êtres que vous voyez autour de nous. D’où viennent-ils ? Que font-ils dans la vie ? Que mangent-ils ? demanda François.

- Ah, tout cela est bien mystérieux, répondit la vieille Hélène. Leur origine remonte à la nuit des temps. Leur monde et leur vie sont parallèles aux nôtres. Ils nous observent quelquefois de loin mais ils fuient d’habitude la proximité des humains dont les vibrations denses les importunent. Ils participent à l’éclosion du printemps et des saisons nouvelles, aux jeux divers de la nature. Ils s’efforcent aussi de protéger les petits animaux qu’ils croisent sur leur route. Ils sont bien actifs vous savez, et ils font tout ça dans leur bonne humeur coutumière... Ils se nourrissent de ce que leur offrent en abondance la nature et les insectes. Leur plat quotidien est fait d’œufs de fourmis, de betteraves, de pommes de terre, de noisettes, de champignons, de miel, de morgeline. Et pour se désaltérer, ils humectent chaque jour leurs lèvres de rosée matinale... Ils mastiquent aussi parfois de la réglisse ou de l’aubier tendre.

- Quel vie étrange, s’exclama Marianne.

- Peut-être, répondit la vieille Hélène. Mais pour eux c’est nous qui menons une vie bien sotte ! Ils ne comprennent pas que nous puissions supporter le bruit infernal de la vie citadine, les pollutions infectes émises par nos voitures et nos usines, nos distractions puériles, notre stress permanent, nos guerres…

François et Marianne venaient d’entrer comme dans un autre monde, un monde féérique situé aux antipodes des convergences et des nécessités humaines. Ils seraient bien restés là toute la nuit, mais Marianne, qui habitait à plus d’une heure de ce lieu champêtre, se devait maintenant de rentrer chez elle.

- Nous sommes très heureux de vous avoir rencontrée Madame Hélène. Mais nous allons devoir vous laisser et poursuivre notre chemin.

- Je vous comprends ma chère enfant. Je vais moi-même m’en retourner à mon logis.

- Vous habitez dans une vieille chaumière ? s’enquit François qui depuis dix minutes avait l'impression d'avoir fait un bond de plusieurs siècles vers le passé.

Hélène la Malgaigne hoqueta un petit rire amusé.

- Mais non, mon bon ami. Vous me croyez issue du Moyen Age ? Ma chaumière est une vieille caravane rouillée à demi cachée par les hautes broussailles de ce bois. Même les gambadeurs d’un jour ne se fourvoient jamais jusqu’à elle et ne voudraient se risquer sur le chemin glissant qui y mène. Mais les vieilles jambes de la Malgaigne en ont vu d’autres, et elle sait précisément où poser le pied afin de ne point chuter!

Nos deux amis se levèrent et firent poliment leurs adieux à la vieille femme en lui tendant la main.

- Faites le bonsoir pour nous aux Gais Lurons, fit François.

- Ils vous souhaitent également la bonne nuit à tous les deux, répondit la vieille femme toujours assise à même la souche du vieux chêne qui leur avait servi de banc.

François et Marianne firent encore un dernier signe de la main à cette vieille femme bien étrange avant de s’engouffrer à nouveau dans la nuit dense et de redescendre le chemin rocailleux vers leur voiture.
Kham
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   Posté le 24-07-2005 à 13:27:41   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Nos deux amis reprirent leur descente côte à côte pendant plus de cinq minutes sans prononcer un seul mot, toujours sous le charme étrange de cette rencontre impromptue. Qui aurait cru que l’on puisse encore rencontrer de nos jours une telle femme comme issue d’un autre temps ?

- Tu crois qu’elle vit seule ? demanda Marianne.

- Très certainement. A moins que son compagnon ne soit un vieux hibou ou un chat noir qui la surveille du coin de l’œil lorsqu’elle prépare ses philtres magiques ! répliqua François avec son genre d’humour habituel.

L’orée du bois dessina bientôt un cercle éclairci devant eux. La vieille voiture de François, dont la carrosserie sombre reluisait sous les rayons de lune obliques, les attendait.

François ouvrit galamment la portière droite de la vieille Ford à son amie qui le remercia de ce geste galant qui l’émerveillait toujours. Puis il prit place au volant, alluma les feux, démarra le moteur et s’engagea sans plus tarder sur la petite route qui descendait en serpentant vers la petite bourgade.

- Tu as vu l’heure ? fit François

- Et alors ? On a toute la nuit devant nous non ? répondit nonchalamment Marianne, un brin malicieuse.

- Si tu le dis…

La petite ville en bas des collines dormait paisiblement. Seules quelques fenêtres chichement allumées trouaient timidement la grisaille de la nuit paisible.

- Tu crois qu’on la reverra un jour ? s’enquit Marianne.

- La vieille sorcière ? fit François en souriant.

- Oui, la vieille sorcière comme tu dis…

- Qui sait ? Une nuit de pleine lune peut-être ? S’il ne pleut pas !

Nos deux amis partirent d’un grand rire. D’ici une bonne heure Marianne aurait rejoint sa maison, et une heure plus tard François aurait rejoint la sienne.

*
Meluzine
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   Posté le 02-08-2005 à 20:55:46   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Le soleil a brillé toute la journée.
Derrière les volets clôs, François songe à la prochaine balade.
Il pense emmener son amie Marianne sur les bords de la rivière, ce qui donnera un coup de fraîcheur à cette chaleur lourde et rendra la promenade plus agréable.
Ils se rencontreront sur le petit pont de pierres, endroit peu fréqenté.
L'eau y est si limpide que l'on peut apercevoir une multitude de petits poissons.
Le long de la berge, un sentier serpente parmi l'herbe haute et les feuillus.

Quand François arrive à la croisée des quatre chemins, Marianne est là, qui l'attend.
Profitant de ce moment de solitude, elle fait des ricochets, c'est son petit plaisir secret.
Plus loin, quelques canards font une sieste sur une grosse pierre platte.
On entend à peine le murmure de la rivière et les oiseaux qui chantent dans les arbres alentours.
L'endroit y est paraît-il enchanteur.
Au sommet de la colline, là où les bois sont plus denses, se trouve la grotte aux fées.
Kham
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   Posté le 03-08-2005 à 16:13:11   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

- Eh, fais gaffe ! lança François de loin. Tu vas réveiller les canards ! Encore un peu, tu égorgeais un caneton avec le tranchant d’une de tes pierres !

Tout en adressant un sourire de bienvenue à son ami, Marianne ne put s’empêcher de rougir un peu, confuse d’avoir été surprise dans l’exercice de ce petit jeu puéril.

- Mais non gros bêta, je sais viser !

- On dit ça, on dit ça ! Et puis le soir on se retrouve avec un canard à l’orange sur la table ! enchaîna François, taquin comme toujours.

- Je t’inviterai alors, il te suffira d’apporter le vin… et une eau plate pour moi !

- Parce que tu t’imagines que je te laisserai boire de l’eau plate en ma présence !

Marianne haussa les épaules, abandonna son petit tas de graviers lisses et vint faire la bise à son ami, se hissant jusqu’à sa joue sur la pointe des pieds.

- Maître François m’emmène où aujourd’hui ?

- Où nous sommes ! C'est pas un peu le paradis ici ?

- Et si on partait à la recherche de notre vieille sorcière ?

Marianne avait tellement apprécié la rencontre inopinée de l’autre soir, qu’elle comptait bien y ajouter une suite, et qui sait pourrait-elle en apprendre un peu plus sur ces étranges lutins qui rôdaient dans les parages.

- Trop tôt ! La macrale ne sort qu’une fois le soleil descendu sur l’horizon. Ce soir peut-être… Enfin, on verra. En attendant, si on allait s’asseoir sur ce vieux banc là-bas ? Je te ferai de la lecture.

- Chouette ! J’adore t’entendre lire, tu le sais !

- D’accord. Allons-y !

En dehors du passage occasionnel de quelques promeneurs oisifs, ce bout de terre en bordure de la petite bourgade ardennaise était plutôt désert, ce qui n’était d’ailleurs pour leur déplaire, les deux amis préférant de loin agrémenter leurs moments de retrouvaille à l’écart du monde et de la foule.

- Pas hyper confortable, mais ça ira, fit François tout en prenant place sur les planches du vieux banc usé arrimé à la terre. En tout cas, le charme y est !

- Pour moi c’est parfait, fit Marianne, toujours ravie de retrouver son ami et d’oublier avec lui, le temps d’une balade, l’espèce de morosité rampante qui planait sur sa vie de tous les jours.

A une trentaine de mètres de là, un pêcheur entre deux âges, harnaché de cuissardes, les jambes à moitié enfoncées dans le lit frais de la rivière, lançait et relançait à intervalles réguliers sa ligne d’un geste vif et précis, attentif au moindre frémissement de l’eau transparente.

- On trouve quoi par ici ? s'enquit Marianne.

- Aucune idée ! Ah si... Des poissons-scies et des piranhas !

- C’est ça ! Et de dangereux requins aussi ? enchaîna Marianne.

- Des requins non, mais il paraît que les jours de brume apparaissent aux bords du fleuve de jolies sirènes… comme toi !

Marianne piqua à nouveau un fard sous l’allusion taquine de son ami. Mais pourquoi rougissait-elle toujours à la moindre de ses remarques un tantinet friponne ?

- Bon ! C’est pas tout ça ! Je déballe la lecture ! Alphonse Daudet ou Frédéric Dard ? interrogea François, sachant très bien quelle serait la réponse.

- Alphonse et son moulin ! répondit spontanément Marianne.

- Je m'en doutais. Va pour Alphonse ! Pas froid ? s’enquit François, toujours plein de prévenance pour son amie.

- Non. Le temps est idéal aujourd’hui. Ni trop froid, ni trop chaud. Et tu as vu ? Pas un seul nuage à l’horizon !

- Les dieux sont avec nous, répondit François. Puis il sortit deux petits bouquins de sa veste légère, replaça le Dard dans une de ses poches, et garda en main celui d’Alphonse Daudet, qu’il ouvrit aux premières pages. C’était une ancienne édition de 1959 mais à l’état quasi neuf. François l’avait dégotté quelques années auparavant sur une brocante de la région. Il en avait toujours repoussé la lecture à plus tard, faute de temps, ou plutôt faute à d’autres livres pressés d’être lus avant celui-ci. Il savait que Marianne appréciait l’auteur des Lettres de mon Moulin. Il s’était donc dit que ce ne serait peut-être pas une si mauvaise idée d’emporter ce petit livre aujourd’hui avec lui, en plus du polar de Frédéric Dard qu'il lisait en ce moment.

- Première partie : la fantaisie et l’histoire : la dernière classe : récit d’un alsacien, fit François tout d’une traite, un peu comme s’il ouvrait rapido les lourds rideaux avant que ne commence une pièce de théâtre.

Marianne respira un bon coup. L’air d’ici descendait droit des épicéas alentour et se mélangeait aux odeurs de la terre encore humide des ondées de la matinée. L'amie de François s’adossa confortablement, allongea les jambes et se détendit tout à fait, parfaitement consciente de goûter quelque moment de rare bonheur dont François semblait posséder les clés secrètes. Qui d’autre que lui en effet aurait pu lui faire aussi bien la lecture ? En plus, ce coin de nature perdue était on ne peut plus idyllique. Cette rivière tranquille qui serpentait entre ses versants serrés et limoneux… ce soleil tiède et doux, soucieux de chauffer cette belle après-midi mais sans en faire trop...

François entama le récit de Daudet.

- « Ce matin-là, j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.

Le temps était si chaud, si clair qu'on entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école.

En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandanture ; et je pensai sans m'arrêter : « Qu' est-ce qu'il y a encore ? » Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria : « Ne te dépêche pas tant, petit; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école !»

Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel. D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :

« Un peu de silence ! » Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez si j'étais rouge et si j'avais peur !

- Tiens, tu vois, il n’y a pas que moi qui rougit, interrompit Marianne.

- Exact, répondit distraitement François avant de poursuivre : "Eh bien ! non. M Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement : « va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi.»

J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de
distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit : « Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui, c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs. »

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie. Ma dernière leçon de français !...
Et moi qui savais à peine écrire ! Je n'apprendrais donc jamais! Il faudrait donc en rester là!...

Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle. Pauvre homme !

François interrompit sa lecture et leva les yeux vers ceux de son amie.

- Ca va ? Tu suis ?

- Très bien. J’adore les histoires d’Alphonse Daudet, et je ne connaissais pas celle-là.

- Je grignoterais bien un bout, fit François posant le livre refermé sur le banc. Lire me donne faim !

- Je t’ai amené des tartines de fromage d’Abbaye comme tu les aimes, fit Marianne. Je débale ?

- Je ne dis pas non. Comment d’ailleurs pourrais-je résister à une proposition aussi savoureuse ?

- Attends de goûter pour savoir, le prévint Marianne légèrement narquoise à son tour. N'oublie pas que c'est moi qui les ai préparées !

- D’accord. Je te dirai après ce que j’en pense…

François happa la grosse tartine de pain gris que lui tendait Marianne, et sans plus attendre mordit avec appétit ce simple mais, ô combien, délicieux encas inattendu.
Kham
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   Posté le 09-08-2005 à 13:05:56   Voir le profil de Kham (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Kham   

Le soleil déclinait déjà. Bientôt, d’ici une heure à peine, l'astre du jour s’enfoncerait complètement derrière les hautes collines boisées qui entouraient nos deux amis.

- Mince ! Tu as vu l’heure ? s’enquit François.

Marianne redescendit sur terre. Contée par la voix mélodieuse de son ami, les premières pages du livre d’Alphonse Daudet l’avaient transportée là-bas, en Alsace et en Lorraine, à une époque qu’elle n’avait pas connue, mais que la lecture de ce récit venait comme de réactualiser. Elle pensait à tous ces pauvres gens, à ces enfants innocents et fragiles qui avaient souffert de ces guerres cruelles d’autrefois. Elle se disait qu’au moins les gens de sa génération n’avaient dû endurer ces fléaux terribles.

- Rien ne presse. Personne ne m’attend. Je suis libre comme le vent !

- D’accord papillon ! Et si on se détendait un peu les jambes ? Le temps est on ne peut plus idéal pour une balade.

- Je te suivrais partout. Tu le sais, répondit Marianne pour taquiner son ami.

- Je sais ! enchaîna François sur le même ton léger.

Nos deux amis laissèrent le vieux banc vermoulu derrière eux et s’engagèrent sur la petite route macadamisée qui zigzaguait jusqu’à l’orée du bois. Les terrains de tennis à leur gauche étaient déserts, et le tapis d’herbe du terrain de football situé un peu plus haut attendait le retour de la nouvelle saison sportive pour se refaire une pelouse digne de ce nom.

- Tu crois qu’on la verra ?

- La Malgaigne ? On peut toujours essayer. Peut-être aura-t-elle l’agréable inspiration de bien vouloir mettre le nez dehors ce soir, et de répondre ainsi à nos souhaits. La pleine lune ne sera pas au rendez-vous, faute au calendrier, mais qui sait, qui ne tente rien n’a rien…
Meluzine
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Meluzine
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   Posté le 11-08-2005 à 13:01:41   Voir le profil de Meluzine (Offline)   Répondre à ce message   http://users.skynet.be/mcl/   Envoyer un message privé à Meluzine   

Depuis toujours, Marianne conservait en elle l'espoir secret d'apercevoir une fée.
Elle avait gardé une âme d'enfant, celle qui alimente l'imagination jusqu'aux frontières du réel...

Faute de Prince Charmant, son ami François lui permettait de franchir des horizons lointains, par simple magie de la pensée.
Elle prenait du plaisir à pénétrer au coeur de ses histoires, et même à les vivre.
On ne s'ennuyait jamais avec lui ! Il savait partager des moments de bonheur intense que seule la sensibilité pouvait capter.

La lumière peu à peu s'estompait, laissant au ciel ses couleurs flamboyantes...

Prenons ce chemin dit François, il mène au grand chêne centenaire, et ce n'est pas trop loin.
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